top of page

 

On rit avec la gorge, c'est vrai. Mais on ne sait pas vraiment d’où vient le rire.
Moi, je pense que tout au fond de notre ventre, au chaud et bien cachée, il y a une boîte à rire. C'est là que sont entreposées des dizaines de poilades. Les gens qui ont un gros ventre ont aussi une grosse boîte à rires. Ceux qui ont un petit ventre n'ont que deux ou trois rigolades d'avance. Enfin, les personnes qui ont un ventre tout plat ont moins de souffle pour s'esclaffer. Ils sont secs et ne se fendent jamais la poire.

Le rire c'est comme une toux joyeuse. Ça remonte brusquement de la bedaine et ça sort par la bouche en petites saccades. La différence, c'est que le rire n'est pas une maladie.

Est-ce que les fourmis rient ? Sûrement, mais on ne peut pas les entendre parce qu'elles ont un rire à leur taille, un rire minuscule. Je suis sûre que lorsqu'une fourmi s'esclaffe, elle fait tellement de bruit pour les pucerons qu'ils se bouchent les oreilles. Quand un éléphant rit, on dit qu'il barrit, à cause du son extraordinaire qu'il produit alors.

On rit toujours en voyelles : hi-hi, ho-ho, ha-ha. On ne peut absolument pas rire en consonnes : md-md, xw-xw, pz-pz… ça n'existe pas.

Plus on rit, plus notre boîte à rire se remplit. Quand on se marre à plusieurs, on récolte aussi les rires des autres et ça enrichit notre « rirothèque ». La rirothèque c'est une bibliothèque de blagues que l'on peut stocker dans le cerveau. Il y a des gens dont le corps est entièrement envahi d'hilarité. Ils sont alors obligés d'exercer le métier de clown. Ils vident ainsi régulièrement leur trop-plein de joie tout en faisant rigoler le public.

Le plus drôle dans l'histoire c'est qu'en riant, on peut se tordre, se fendre, se gondoler, se tire-bouchonner et exploser sans se faire le moindre mal.

Et le plus dingue, c'est qu'on peut mourir de rire autant de fois qu'on veut.

la-boite-a-rires-thumbnail-2017-06-06-16
thumbnail-2020-01-20-16-36-43.jpeg

La famille Cloche-pied

Viviane Clément

Dans la famille Cloche-pied, il y a le fils, c’est moi, et puis mes deux petites sœurs aux chaussettes rouges, et bien sûr il y a mes parents, Papa aux grands pieds et Maman aux talons hauts. Enfin, au talon haut, parce que pendant quelques jours on a tous marché à cloche-pied parce que la sorcière de l’étage du dessous nous avait jetés un sort. Tous les pieds droits de nos chaussures avaient disparu ! Quelle poisse !

Aussi j’étais obligé d’aller à l’école avec une chaussure. J’essayais d’être discret en tirant bien le pantalon sur la cheville, mais quand même c’était pas pratique pour jouer au foot, surtout quand on est droitier. Du coup, je tirais du pied gauche et je loupais la cage. Les copains étaient furax, et la maîtresse ne faisait que me demander si j’étais blessé.

Mes petites sœurs, elles, ça n’a pas eu l’air de les déranger. D’ailleurs la plupart du temps, elles n’en mettent pas, de chaussures. Elles filent toujours pieds nus et on retrouve leurs souliers dans la poubelle, dans des boîtes, dans le panier du chien ou sur la pelouse en bas de l’immeuble.

Le plus en colère, c’était Papa. Impossible d’aller au bureau avec une seule chaussure, alors il a convaincu son copain infirmier de lui plâtrer la jambe. Il marchait avec des béquilles, c’était rigolo, mais il ne fallait surtout pas rire, sinon il nous faisait son regard laser ! Surtout, quand Maman se moquait de lui, parce qu’après tout, c’était de sa faute à elle !

Maman aime beaucoup les chaussures, surtout celles qui ont des talons hauts, très hauts. Et comme elle ne peut pas les mettre à son travail – il ne faut pas faire de bruit à l’hôpital – elle les garde pour la maison, le soir, et ses jours de repos. Tac tac tac sur le parquet, tac tac tac tac dans le couloir… Nous, on est habitués, mais pas la sorcière du dessous ! Elle s’est fâchée et voilà la punition !

Quand c’est arrivé, Maman a couru chez le marchand le plus proche et a acheté des chaussures pour tout le monde. Mais en ouvrant les boîtes, on s’est rendu compte qu’il n’y avait qu’une seule chaussure, la gauche évidemment.

Même les visiteurs devaient laisser leurs chaussures sur le palier depuis que Grand Papa a été obligé de rentrer chez lui, à cloche-pied, très en colère, en accusant Malou d’avoir mangé sa basket. Malou ! Il ne mange même pas son os.

Alors j’ai eu une idée géniale : trouver une paire de magnifiques chaussures pour la sorcière. Si elle pouvait cacher ses pieds dans de jolis souliers vernis, elle arrêterait sans doute de lorgner les chaussures de Maman. Mais où ? Chez mon copain le brocanteur qui est aussi un peu magicien. Oui, mais le problème c’est la pointure. Je n’ai jamais regardé les pieds de la sorcière, moi ! Alors pendant quelques jours je l’ai guettée. Caché sous l’escalier, j’ai pu regarder ses pieds : grands, plats, de gros orteils poilus, des ongles biscornus. Ça va pas être facile !

Le mercredi, je suis parti chez le brocanteur pensant qu’il serait de bon conseil. Quel bazar dans sa boutique ! Finalement, j’ai décidé de tout lui raconter. Il la connaît cette sorcière, elle vient acheter des marmites et des passoires et elle essaie toujours de le rouler. Il est parti tout au fond de l’atelier, je l’entendais remuer son bric-à-brac puis il est revenu avec une paire de chaussures magnifiques. Elles étaient bleu roi et douces comme du velours avec une pierre sur le dessus qui brille comme un soleil. Et des talons hauts et fins, si fins qu’on dirait des aiguilles ! Mais en plus, elles sont magiques. Elles s’adaptent à tous les pieds, les longs, les courts, les larges, aux orteils qui rebiquent, aux petits doigts qui se recroquevillent.

« Avec des chaussures comme ça, Cendrillon serait restée dans sa cheminée », m’a dit mon ami le brocanteur. « Imagine que Javotte ou Anastasie aient eu ces merveilleuses pantoufles, le prince aurait dû épouser une de ces filles laides, bêtes et méchantes. La magie n’est pas à mettre entre toutes les mains », a-t-il rajouté.

Alors j’ai apporté les chaussures à Maman. Elle les a offertes à la jeteuse de sorts en lui promettant que dorénavant, promis, juré, craché, on ne marcherait qu’en pantoufles, mais là Maman a dit un mensonge, les grandes personnes mentent aussi !

La sorcière a accepté notre cadeau, et chacun a retrouvé sa chaussure droite. La famille Cloche-Pied marche à nouveau droit. Maintenant, quand on monte l’escalier de notre immeuble, on entend toujours tac tac tac, tac tac tac, mais on ne sait jamais si c’est Maman ou la sorcière du dessous.

bottom of page